Un monde où les enfants pleurent

Un monde où les enfants pleurent

LA VIE EST DURE

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Une amie cynophile m’a fait passer un article il y a quelques jours sur les 99 raisons excellentes raisons qu’un enfant avait de se mettre à pleurer. (Voir ici)

Bourré d’humour, l’article nous rappelait comment un enfant pouvait se mettre à verser toutes les larmes de son corps parce que la vie est trop dure et que « en vrac » :

le verre d’eau est trop rempli
le verre d’eau n’est pas assez rempli
il n’y aura pas de nouilles au fromage au petit-déjeuner
il pleut du mouillé
la manche droite n’arrive pas aussi bas que la manche gauche
on ne peut pas retirer son nombril
tu ne sais pas ce que signifie ce panneau que tu n’as pas eu le temps de voir
tu lui demandes de ne plus se moucher sur ton bras
il est fatigué et c’est nul d’être fatigué
on ne peut pas aller à l’école tout nu même s’il fait chaud

Oh que oui la vie c’est nul ! Et on peut être la meilleure maman au monde, vouloir protéger son bout-de-chou de tous les maux du monde, il finira un jour par pleurer. Combien de larmes a-t-on dû verser pour devenir des adultes ?
Combien de genoux égratignés, de bouteilles de mercurochrome utilisées, combien de bosses pour apprendre à marcher, courir, sauter, jouer au ballon ?
Combien de boules au ventre, de stress, à me répéter ce que je devais dire avant de rentrer dans la boulangerie pour acheter une baguette de pain à la dame quand je n’étais qu’une gamine super-timide ?

L’apprentissage de la vie n’est pas facile, oh que non ! Mais c’est ça la vie.

Alors pourquoi diable s’entête-t-on à vouloir croire que c’est différent pour nos amis à quatre pattes ? Au plus léger inconfort subi par un chien, au premier stress, au premier signal d’apaisement envoyé par l’animal, vous êtes cloué au pilori comme le bourreau ultime avec sa hache. Les chiens devraient désormais vivre et apprendre la vie dans un cocon douillet sans jamais connaitre ni stress, ni frustration, ni inconfort. Tout doit être rose, lisse, beau, aseptisé… Je me demande d’ailleurs si on ne devrait pas jouer du Vivaldi pendant les séances d’apprentissage pour « zen-ifier » encore plus la chose.

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J’ai l’air de caricaturer à l’extrême. En fait, j’aimerais caricaturer à l’extrême mais plus je lis la Toile, les commentaires à certains articles, à certaines vidéos, plus j’ai l’impression que cela devient la norme au point où je finis par me demander si je vis dans le même monde que tout le monde.

 Leur imaginer un monde uniquement positif sans aucun stress,
c’est bien beau,
mais ce n’est pas dans ce monde-là qu’ils vivront.

Construire cette bulle utopique pour un de mes chiens, je l’ai fait… Sans en avoir conscience, mais je l’ai fait. Vivant seule, je n’ai que peu l’occasion de m’engueuler moi-même, faut l’avouer. L’ambiance à la maison est donc plus que calme et sereine, jamais un éclat de voix ne vient troubler les lieux. Chaplin étant un chiot plutôt facile et moi ayant un peu d’expériences en matière d’éducation en méthodes positives, je crois que durant toute son « enfance » à la maison, il ne m’a jamais entendu dire non ou même hausser la voix.

Une vie de rêve pour un chien, n’est-ce pas ?

Sauf  que le jour où il a été confronté à la « vraie vie », il a paniqué. Pour lui quelqu’un qui haussait la voix dans la rue (dispute ou jeunes se chamaillant pour rire), c’était juste insupportable, il ne savait pas comment composer avec ça. Je ne lui avais jamais appris « la vie ». J’ai donc dû le travailler avec lui, me mettre à parler plus fort au quotidien pour qu’il sache et apprenne que ce n’était pas si grave que ça.

Sa vie sera parfois dure, stressante, douloureuse, anxiogène, frustrante, inconfortable. Et il est à mon sens de notre responsabilité de l’y préparer autant que de lui montrer les bons côtés. Car la vie n’est pas d’une seule couleur, elle n’est pas que blanche, toutes les nuances en font partie. On ne peut pas juste fermer les yeux pour qu’elles cessent d’exister.

L’important n’est pas tant qu’ils ne soient jamais confrontés à aucune situation stressante (quel vœu pieu) mais qu’ils sachent qu’ils sont capables de le surmonter, qu’ils connaissent les ressources à mobiliser pour y parvenir. Et comment apprendre à  gérer son stress sans jamais y être confronté, sans jamais s’entraîner à le surmonter ?

 

On oublie souvent aussi que pour apprendre, il faut sortir de sa zone de confort.

Tant qu’on reste dans le moelleux de sa vie, dans le douillet de ses habitudes et de ce qu’on maitrise, on ne progresse pas. Il faut parfois accepter de quitter sa zone de confort pour commencer à apprendre.

Sur la toile dernièrement faisait débat un reportage de 30 millions d’amis sur la prise en charge d’un shetland ayant peur des gens. L’animal montrait sur la vidéo des montagnes de signaux d’apaisement et donc de signes de stress lors de la séance de travail pour le ré-apprivoiser à l’humain – l’éducateur et sa méthode étant du coup bien entendu cloués au pilori. Loin de moi l’envie de participer au grand débat du bien et du mal, surtout sur une vidéo forcément tronquée par le montage. Je suis d’accord avec certaines choses, pas d’accord avec d’autres, mais l’important n’est pas là.

Je me suis interrogée sur ces fameux signaux d’apaisement qu’envoyait le chien et qui semblaient condamner son éducateur aux yeux de beaucoup.

Était-ce la méthode qui engendrait le stress (et donc qui était en cause) ou le simple processus en lui-même de l’apprentissage ?

Je me souviens d’une vidéo d’un chien travaillé pour un problème similaire. Méthode positive : nourriture, clicker, chien libre de ses mouvements.

Note : j’avais adoré d’ailleurs cette vidéo.

Méthode radicalement différente et pourtant les mêmes signaux d’apaisement, la même queue entre les pattes, les mêmes mouvements de recul avant de petit à petit aller vers un mieux.

Que je regarde l’une ou l’autre, je me dis qu’évidemment il ne faut pas faire basculer le chien dans un état de panique, ce que j’appelle la zone rouge, où tout apprentissage sera impossible car la peur trop envahissante. Mais il est tout aussi évident que si on le laisse dans sa zone de confort (la zone verte), la zone où il est totalement à l’aise, il n’apprendra rien non plus.

Il n’y a qu’en le plaçant dans la zone orange, dans cette zone où oui il n’est pas à l’aise, où oui il envoie des signaux à cause du stress qu’on peut lui montrer qu’il n’y a rien à craindre et par apprentissage, augmenter l’étendue de sa zone de confort en présence d’humains.

Alors oui, parfois en voyant ce que devient le monde cynophile,
j’ai envie de pousser un coup de gueule
(et pourtant, je hausse fort rarement le ton)

Si on m’avait sans arrêt donner la main pour marcher, je ne serais certes jamais tombé et je ne me serais jamais écorché le genou en pleurant toutes les larmes de mon corps, mais je n’aurais jamais appris à marcher, je n’aurais surtout jamais appris à me relever.

Arrêtons d’avoir systématiquement peur que son chien doute ou se trompe en le sur-assistant et le sur-guidant, l’échec, l’incertitude transitoire fait aussi partie de l’apprentissage. Arrêtons d’avoir systématiquement peur du stress ou d’un inconfort passager, ils peuvent aussi faire partie de l’apprentissage et aider nos chiens à grandir.

Nous vivons dans un monde où les enfants pleurent et rient
même si on rêverait de n’entendre que leurs rires. 

14 réflexions sur « Un monde où les enfants pleurent »

  1. Je suis bien ok avec toi sur le fond « expérience de la vie » (j’ai eu des gosses, ils ont grandi & se sont ramassé des gamelles) Johanie, chez moi les chiens vivent avec parfois des éclats de voix etc, alors que d’autres maîtres vont préconiser la vie au chenil pour que justement le chien ne « subisse » pas les aléas de la vie familiale.J’aurais juste tendance à penser que ici, les dégâts sont faits (chien adulte, élevage, environnement ? etc blabla).Et je le dis comme je le pense : l’immerger brutalement pour quelle raison? ha peut être l’émission, la télé, la pub…donc franchement un collier étrangleur pour éviter qu’il se tire, bof.
    Certains « états » ne changeront ni par le dit positif, ni par le dit négatif.

  2. ah enfin un bon coup de gueule, et tout a fait d’accord avec vous, peut être que ça éviterai beaucoup d’accident, je suis pas professionnelle, mais va falloir réfléchir un peu mieux à la condition animal, qu’on leur apprenne a rester avant tout un animal, avec leur langage, vivre dans un cocon , n’a jamais était bon, et l’extrême non plus, et le chien apprend vite à gérer, toutes les situations, si on leur en donne les moyens
    merci beaucoup pour ce coup de gueule je ptg

  3. C’est justement le fait d’etre confronté a des situations inconfortables et parfois stressantes (comme dans la nature) que notre ami canis-lupus-familiaris as un sens d’adaptation hors du commun, leurs enlever sa c’est atrophier ce sens et de meme leurs assurance, a trop vouloir les preserver ou les humaniser (anthropomorphisme) on les fragilise et le jour ou il y as une source de stress ils ne savent plus l’affronter.
    Il ne faut pas oublier qu’entre eux (meute) ils ne se font pas de cadeau lors de remise en place (sans pour autant de violence gratuite), leurs reponse est juste, coherente, et proportionnée, et respecte leurs psychologie (penser et agir en chien non en humain).
    N’oubliez pas qu’un grand nombre de maîtres qui aiment leurs chiens, font de la MALTRAITANCE PASSIVE en ne respectant pas cette derniere.
    A mediter.

  4. Très bonne article! Je partage!

    Par contre une petite question: quand vous avez un chien qui présente le même problème et qui n’est absolument pas gourmand et refuse toute nourriture (même knacks, fromage, viande fraiche….) comment faites vous?

  5. d’accord avec vous sur le fond.
    Mais ce discours, tout autant que la pratique du discours, me va dans la bouche de quelqu’un qui sait « lire » un chien correctement, quelqu’un qui a une BONNE expérience de l’éducation (entendez par là qui en connait le minimum). Simplement parce que j’ai vu trop de chien arriver chez moi, éducateur, totalement sensibiliser sous prétexte d’avoir voulu habituer a tout prix. Et qu’une sensibilisation est bien plus difficile a réadapter qu’une simple peur de l’inconnu.
    Trop souvent, a vouloir confronter le chien coute que coute a l’objet de sa peur, l’objet en question devient un véritable Godzilla pour lui justement parce que la zone de confort n’a pas été respectée..
    La zone de confort est effectivement quelque chose qui se travaille, mais encore faut-il savoir le faire. Et cela s’appelle LA SOCIALISATION:

    La socialisation ne signifie pas uniquement reconnaitre les espèces amies, mais bien aussi les bruits ambiants, les choses qui bougent, la vie quoi!

  6. Enfin un vrai article où on peut retrouver un peu de cohérence par rapport a tout ce qu’on peut lire sur le net…souvent de quoi y perdre son canin !

  7. merci.
    je reprends avec délectation ceci :
    « La zone de confort est effectivement quelque chose qui se travaille, mais encore faut-il savoir le faire. Et cela s’appelle LA SOCIALISATION »

    Bisounours peut-être mais apprendre la vie aussi, comme un plus pour leur donner ensuite la capacité de vivre et de se mouvoir sans heurt dans un monde de « brutes ».

    Merci pour ce bel article que je partage avec plaisir.

  8. je suis bien d’accord, nous avons accueillis 2 chiens avec un passé difficile, soit on décide de les mettre dans une bulle confortable pour finir leur vie mais est ce vraiment un sauvetage?
    Soit on décide pas à pas de leur faire découvrir l’inconnu, ce qui fait peur, ce qui semble impossible et là c’est une victoire pour tout le monde! Alors il faut les forcer mais les aider en même temps toute la difficulté est là.

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